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Les spécificités de la descendance américaine de l’Olympia de Manet (« Quand l’Olympia rencontre Washington, re-cadrages américains de Leutze et de Manet »)

1 Mai

            Véronique Béguain, l’auteur de l’article sur lequel nous allons nous pencher («  Quand l’Olympia rencontre Washington, re-cadrages américains de Leutze et de Manet », p.135 à 152), s’intéresse dans ce dernier à deux icônes de l’art revisitées de nombreuses fois par les artistes américains qui ont comme points communs d’être toutes deux « transgressives et jouant sur les oppositions », ou plutôt aux œuvres picturales américaines au delà du XXIèmes siècle s’en inspirant. Ces deux œuvres « matrices » sont les suivantes : Washington Crossing the Delaware d’Emanuel Leutze (1851, huile sur toile, 378,5×647,7cm, Metropolitan Museum of Art, New York) et L’Olympia de Manet. Dans le cadre de notre réflexion centrée sur l’Olympia, nous nous intéresserons à la seconde partie de son article centrée sur l’Olympia et ses avatars américains de la seconde moitié du XXème siècle.
          L’auteur rappelle que si l’Olympia de Manet s’est vu l’objet de nombreuses transformations et interprétations, elle résulte elle même d’une appropriation puisque Manet s’inspire de la Vénus d’Urbin du Titien pour réaliser son œuvre. L’auteur, à dessein, laisse de côté les œuvres de Cézanne (Une Moderne Olympia, 1873-1874) de Picasso (Parodie de l’Olympia, 1901) ou encore de Dubuffet (Olympia, 1950) car son propos est de mettre en lumière « les spécificités de la descendance américaine » de l’Olympia de Manet.
Ainsi, elle s’intéresse en premier lieu à l’œuvre de Larry Rivers : I like Olympia in Black Face de 1970. Larry Rivers opère un recadrage de l’Olympia de Manet en lui apportant une dimension politique. En effet à travers ce « redoublement du motif » et une « inversion du noir et du blanc » (affectant l’Olympia, la servante, le chat et le drap du lit), Larry Rivers semble percevoir dans le tableau de Manet une « vision raciste implicite » Mais la vraie cible de la parodie de Larry Rivers n’est bien entendu pas Manet mais bien « les stéréotypes qui gouvernent la représentation des noirs dans l’art occidental […] voir dans la société américaine ».
          Une fois cette analyse de l’œuvre faite, l’auteur se penche sur son titre même. Cette analyse du titre qu’elle opère pour chaque œuvre est extrêmement intéressante; elle souligne ainsi l’importance de l’attribution du titre de l’œuvre qui, pour ces œuvres datant de la seconde moitié du XXème siècle est opérée par l’artiste lui même donc fait partie intégrante de l’acte créateur. En effet, si les titres de la majeure partie des œuvres de la Renaissance par exemple sont attribués a posteriori, ceux des artistes contemporains ne sont pas simplement descriptifs mais condensent des significations et invoquent des références qui procèdent de la volonté de l’artiste. L’auteur les analyse avec brio. Si dans le titre de son œuvre, Rivers semble suggérer une dimension ludique à travers son « I like », la dimension critique est bien présente car nous sommes dans un contexte historique particulier, celui des années 60 aux États Unis. D’autre part, Rivers affirme une certaine parenté avec le Pop Art puisque, comme Andy Warhol, il opère ici un « travestissement d’icône ». L’emploi du « I » montre ainsi que l’artiste est conscient de s’inscrire dans une continuité de transformations réalisées à partir d’une œuvre maitresse (Cézanne, Picasso, Dubuffet…) Puis, l’auteur s’attarde sur le chat qui avait été perçu à l’époque de Manet comme une provocation (le parallèle avec le sexe féminin étant implicite) et note que Rivers, en le figurant en blanc, lui retire sa « dimension subversive ».
          Puis, Véronique Béguain poursuit sa réflexion en se penchant sur Manet’s Olympia de Mel Ramos datant de 1974. Elle note que l’artiste s’inscrit ici plus clairement dans le courant Pop Art et rappelle les propos de Georges Roque «: « Mel Ramos fait subir à Manet, ce que celui-ci avait fait subir au Titien, en représentant Olympia en accord avec les canons de son époque » puisqu’ici Olympia apparaît clairement comme une pin-up. Puis l’auteur souligne un point très intéressant : la référence explicite à l’œuvre de Manet présente dans le titre même, suggère que l’œuvre de Ramos  nous permet d’avoir une nouvelle approche de l’Olympia de Manet, à travers son regard d’artiste.
          Puis elle s’intéresse à trois œuvres de Jean-Michel Basquiat qui porte un intérêt tout particulier à la représentation conventionnelle des noirs. Deux titres sont éloquents ; Three Quarters of Olympia minus the Servant (1982) et Sans Titre (Detail of maid from Olympia) (1982). Basquiat s’intéresse « aux cadres de représentation du noir et du blanc dans la peinture occidentale comme dans la société américaine ». Puis elle se penche sur la troisième oeuvre ; qui ne contient pas dans son titre la référence à L’Olympia et note que Basquiat couple ici deux icônes de la peinture occidentale : la Joconde ( de Léonard de Vinci) et l’Olympia. Dans l’œuvre de Basquiat, le fond noir présent dans l’Olympia de Manet a envahi la toile et la blanche Joconde de Vinci s’en détache clairement.
          Enfin, dans la fin de son article, Véronique Béguain évoque une série de tableaux de Sam Messer qui a fait de la machine à écrire de Paul Auster (grand écrivain et ami de ce dernier) « une figure héroïque ». Cette obsession de la machine à écrire de son ami Paul Auster, donnera en effet lieu à la réalisation d’une série de tableaux dont elle est le sujet principal, peintures qui mèneront à la publication d’un ouvrage : L’histoire de ma machine à écrire dans lequel l’art du peintre est lié à l’art de l’écrivain puisque Paul Auster a écrit lui même le texte de cet ouvrage. Dans ces tableaux, parfois la référence à l’Olympia se trouve dans le titre de l’œuvre (ou même dans l’oeuvre elle même) mais quand cela n’est pas le cas, le lien avec l’Olympia est plus que difficile à percevoir. Toutefois, découlant du motif de la série, l’auteur note un premier parallèle : l’obsession de Messer pour la machine à écrire peut être mise en parallèle avec l’obsession dont l’Olympia fait l’objet au regard de la déclinaison des œuvres du XXème siècle qu’elle a suscitée.
          Elle se penche pour finir sur Silent (une des œuvres de Sam Messer) où figure une machine à écrire et dans laquelle la palette chromatique a été réduite au blanc et au noir. Elle n’a a priori pas grand lien avec l’Olympia de Manet. La référence est toutefois présente à travers la réduction de la représentation à des lignes (les « axes horizontaux et verticaux » étant mis en relief dans l’œuvre de Manet) et par le jeu sur le noir et le blanc qui rappelle le travail sur le noir et le blanc de Manet.
Nous finirons l’analyse de ce riche article en citant directement son auteur car elle est au cœur même de la réflexion que nous voulons mener à travers ce blog de recherche : « Olympia demeure ainsi, à la faveur de sa métamorphose en machine à écrire, comme le symptôme d ‘une obsession de l’art par l’art ou, dans d’autres termes, d’une interrogation constante, dans le cadre que se donne la peinture, des limites dudit cadre » (p149).

           L’article sur lequel nous venons de nous pencher : «  Quand l’Olympia rencontre Washington, re-cadrages américains de Leutze et de Manet » figure dans un livre ( de la page 135 à 152) qui rassemble plusieurs articles : Cadres et limites dans les sociétés, les littératures et les arts en Amérique du Nord sous la direction d’Yves-Charles Grandjeat. Ce livre est disponible sur Google Books qui est un service de consultation de livres numérisés à fin commerciale.
Google Books (ou Google Livres), lancé en 2004, permet de rechercher et de découvrir des livres. En effet les livres sous droits d’auteur ne sont pas disponibles intégralement mais l’internaute peut consulter des extraits de ce livre et, s’il est intéressé, a à sa disposition un lien le renvoyant vers un site permettant de se le procurer en version papier et un autre lui permettant de le trouver en bibliothèque (le lien pour notre ouvrage par exemple nous renvoie au site Sudoc qui est un catalogue de bibliothèques fiable). Quand aux livres tombés dans le domaine public, nous pouvons les afficher intégralement et les télécharger. Notons que notre article figure dans un ouvrage sous droits d’auteur mais il est tout de même visible intégralement. De plus Google Books a un projet bibliothèque qui mérite notre attention : celui de travailler en collaboration avec des bibliothèques importantes pour inclure leurs fonds dans l’index Google Recherche de Livres. Si ce site a sans conteste des fins commerciales, il faut toutefois souligner son intérêt car il s’avère être un bon moyen pour faire connaitre de nouveaux livres au lecteur et constitue une vitrine nouvelle pour les éditeurs à la recherche de nouveaux lecteurs.